A propos de la crise alimentaire

Récemment, on m’a invité à représenter ma vision politique dans le cadre d’une conférence à l’ULB. La conférence a malheureusement été annulée mais ce que j’ai compris des questions qui devaient y être abordées méritent sans aucun doute d’être déposé quelque part. Je vous confie ces éléments ici.

Je suis écoféministe, militant.e sans aucun doute. Mes positions ne sont pas toujours compatibles avec les personnes qui parlent de justice climatique également puisque dans écoféministe il y a… féministe.

L’échelle des privilèges sociaux et le patriarcat sont mon prisme pour questionner le rapport au monde et à la crise socio-climatique, l’alimentation étant mon espace de prédilection. Ma démarche va de la terre au soi et inversement. Ma philosophie se rapproche fort de celle de Vandana Shiva (parmi tous les différents mouvements écoféministes existants) même si elle n’est pas ancrée dans les mêmes traumas générationnels et les mêmes espaces de privilèges. Je questionne le système à un niveau international et je le questionne dans les deux sens en étant conscient.e de mes propres privilèges qui sont la couleur de ma peau et mon diplôme.


Pour résumer en trois mots, un de mes cris de guerre : “Riots Not Diets”. Ce n’est aucunement un appel au trouble et à la révolte publique ou encore à la surconsommation mais bien une volonté d’empouvoirement de celleux qui sont en première ligne de ces questions là de par le monde. D’un côté la faim de l’autre les régimes, d’un côté produire de l’autre consommer, d’un côté la soumission de l’autre l’oppression, d’un côté dominé de l’autre dominant (je vous laisse lire dans ces mots ceux qui sont utilisés/utilisables aussi pour parler des questions de genre et ainsi boucler la boucle sur pourquoi l’écoféminisme).


Quels sont les impacts et les dépendances problématiques de nos systèmes alimentaires au niveau mondial ? 

Il me semble qu’il est clair aujourd’hui qu’il y a un espace d’injustice systémique entre qui produit et qui consomme et entre qui consomme et qui surconsomme qu’on regarde cette question à un niveau local, national ou international. Mais il y a une nuance utile à apporter dans ce débat car quand on parle de surconsommation, la culture occidentale a tendance à nous servir des images de personnes obèses ou grosses qui consommeraient uniquement du macdo (le mal) et à les opposer aux personnes sveltes ou “healthy” qui consommeraient des graines et de la salade de quinoa en faisant beaucoup de sport (le bien). Ces images ne questionnent jamais réellement qui sont ces personnes, quels sont leurs privilèges ou leur absence de privilèges et comment/pourquoi ces personnes se retrouvent dans ces situations. La question de l’utilisation des graines, des régimes crudivores, paléo etc n’est aussi que peu remise en question. Pourtant, si demain tout l’occident passait à ce genre de pratiques sans changer de modèle économique et de production nous aurions tout autant de problèmes auxquels s’ajouteraient les questions de trauma somatiques et d’exclusion en plus.

Pour aller plus loin, à un niveau individuel en occident, entre la pollution ingérée par le biais de notre alimentation, l’éco-anxiété, les TCA (troubles du comportement alimentaire induits par la culture du régime, la grossophobie, l’hyper sexualisation des membres de genre féminin de notre société…), l’hyper responsabilisation individuelle des plus précaires sur les questions de crise, de will power qui romantise la question de la réussite sociale sans questionner l’échelle des privilèges etc… La boucle est bouclée si je peux me permettre cette expression. Le monde va mal, les gens vont mal, la santé mentale n’a jamais été aussi mauvaise et quand tous les membres de l’humanité seront en burn out, bore out, PTSD, cancer and co… On n’aura d’office plus d’espace pour la joie et la passion, seuls espaces à l’intérieur desquels il est possible de rêver, de construire et d’envisager des solutions (version extrêmement résumée de tout ce qu’il y a à raconter à ce sujet).

Doit-on craindre une insécurité alimentaire dans le monde et en Europe ? 

Il semble que sur cette question le dernier rapport du GIEC est sans appel, il y a un lien clair entre crise climatique et alimentation qui va dans les deux sens (entre autres liens complexes et systémiques). Il faut agir maintenant. Parler d’insécurité est même finalement un mot assez enfantin pour parler de crise alimentaire puisque c’est déjà la réalité, comme la crise du covid nous l’a déjà fait ressentir justement dans les couches inférieures de l’échelle sociale. Avoir le privilège de la diversité et de l’abondance à un niveau alimentaire et ne pas constater cette crise dans SON assiette ne veut pas dire que la crise alimentaire n’est pas déjà en train de se passer sous nos yeux. Il suffit de regarder les files grandissantes à l’aide alimentaire à un niveau local et international (la crise du riz en Asie du sud-est est criante de vérité), l’emballement des taux de troubles du comportement alimentaire en occident de ces deux dernières années en réaction à la précarité dans laquelle le covid à mis certain.es d’entre nous et les difficultés constantes des producteur.rices sur les questions de sécheresses/inondations/incendies… C’est déjà beaucoup d’éléments qui nous autorisent à appeler un chat un chat comme on dit.

Y a-t-il des plans cohérents pour nous orienter vers des systèmes alimentaires plus durables et résilients ?

Si on parle de plans politiques, ma réponse est non (et elle n’engage probablement que moi), il y a des étapes, des petits pas minuscules mais qui vont toujours dans le même sens puisque malgré les maigres avancées, notre système et ses acteur.rices qui portent les démarches de transition restent des personnes qui portent en elles les privilèges qui vont avec leur position de pouvoir (moi même d’ailleurs, malgré mon histoire qui a commencé très bas sur l’échelle, j’ai acquis des privilèges qui ont permis à ma démarche et mes projets d’arriver jusqu’à vous).

Les différents espaces militants ou porteurs de solutions marginales et innovantes (vois ci-dessous) restent très cloisonnés et dépendants d’un accès à la terre (on sait combien cette question sur la propriété terrienne est extrêmement complexe). Avec ça, on n’a toujours pas parlé de comment nous allions pouvoir nourrir et prendre soin des personnes qui arrivent par la voie de la migration dans le respect de leur culture (migration liée aux conflits géopolitiques eux mêmes toujours liés à la question du patriarcat impérialiste), des mouvement vegan et de comment le capitalisme s’engouffre dans la question de la viande et de l’utilisation des technologies pour fabriquer des produits toujours plus déconnectés de la nature, de la problématique du bio et de combien ce label est souvent une bonne excuse pour reproduire des violences systémiques et rapports de pouvoir liés à la production de masse… bref vous voyez où je veux en venir, les solutions ne se trouvent peut-être pas dans le système ou ne sont peut-être pas “systémiques” mais peut-être bien en dehors de ce système sur lequel on repose depuis trop longtemps justement (j’y arrive).


A un niveau international, peu importe la région du monde où l’on se trouve, les écarts s’intensifient, crise du riz, question de la pomme de terre et de la betterave sucrière, huile de palme, cacao, banane, viande etc, tout est lié et tout est problématique. Le bio et l’agroécologie sont aujourd’hui les deux solutions à un niveau politique dont on entend le plus parler mais ces deux modèles, même s’ils vont dans le bon sens, reproduisent également des espaces de violence liés au fait qu’ils tentent de trouver des réponses globales qui servent “le plus grand nombre” (de personnes privilégiés) sans résoudre la question de la précarité et de la pauvreté.

Est-ce qu’il existe des modèles beaucoup plus marginaux d’abondance et de rapport à la terre dans une vision hollistique ? Pour ne prendre que cet exemple, la permaculture est une des réponses utilisées de par le monde. Ce modèle n’est pas magique mais il résout des tensions locales en tout cas. Je ne dis pas que c’est un modèle qui peut être utilisé à grande échelle ou encore que c’est LA solution miracle, je dis juste que ça existe. C’est un des modèles marginaux qui ont prouvé leur efficacité dans une démarche de décroissance et de dépolitisation des enjeux alimentaires.

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